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Ils couraient vers elle en s'invectivant joyeusement, leur crâne chauve luisant sous les premiers rayons du soleil. Élisabeth aurait dû adopter une mine sévère pour marquer sa désapprobation de les voir ainsi vagabonder en dehors de sa surveillance, mais leurs mines enjouées eurent tôt fait de venir à bout de sa résolution et lorsqu'ils parurent à sa hauteur, elle les accueillit avec un large sourire. Même s'ils n'arrivaient qu'à ses hanches, elle n'avait pas à se pencher pour les dévisager car, tout à leur excitation, ils ne cessaient de faire des bonds autour d'elle, soulevant un nuage de poussière chaque fois qu'ils retombaient sur leurs deux pieds fourchus. Comme à l'accoutumée, chacun entreprit de lui raconter ses découvertes, si bien qu'elle ne put distinguer de la cacophonie que le mot de «géant», qui était inhabituel mais qui revenait plusieurs fois. Elle hochait néanmoins la tête en signe d'assentiment, se tournant alternativement vers chacun de ses interlocuteurs. Mais son sourire se figea après le premier tour:
-Où est Norah ? demanda-t-elle d'une voix sourde.
Elle aurait aussi bien pu pousser un hurlement car le silence se fit instantanément, accompagné d'une immobilité parfaite. Malgré ses craintes et son impatience, Élisabeth en profita pour contempler les créatures, car une telle occasion était rare. En effet, ils étaient toujours en mouvement, vadrouillant hors des sentiers, explorant la moindre anfractuosité, escaladant les arbres ou les murs de pierres. Même dans un intérieur exigu, ils se lançaient des défis, se mesuraient au combat et inventaient mille et un objets aussi étranges qu'éphémères. Pourtant ils ne prenaient jamais de repos et pour cause, créés par magie, c'est d'elle qu'ils tiraient leur inépuisable énergie. Leurs créateurs les avaient d'ailleurs baptisés d'un nom imprononçable, conformément à ce dont on pouvait s'attendre de la part de mages prétentieux et imbus d'eux-mêmes. Par souci de simplicité, les gens les désignaient par le terme epsilon, soulignant ainsi leur faible stature. Ils étaient couverts d'une peau presque lisse malgré les petites écailles dont elle était constituée et l'extrémité de leurs membres présentaient la particularité de pouvoir s'agripper même aux surfaces les moins accidentées.
Pourtant, leurs dernières traces de jovialité ne semblaient pas devoir survivre au regard accusateur qu'arborait Élisabeth. L'un d'eux finit par lâcher que Norah était restée jouer avec le géant. Il regretta bien vite son audace lorsqu'elle le saisit par le cou pour le porter à sa hauteur et l'interrogea d'une voix glaciale :
-Quel géant ?
-Oh alors tu ne faisais que semblant de nous écouter, commença-t-il d'un ton faussement vexé avant que son maigre bon sens ne le rappelle à l'ordre. Cette nuit, après que tu te sois endormie, on est parti voir la rivière de plus près et comme il y avait plein de planches qui traînaient par terre, on s'est dit qu'on pourrait construire des radeaux pour partir à l'aventure quand le soleil se lèverait. On a fait deux équipes et la nôtre a commencé à bâtir une grande barque avec une vraie coque et même un mat. Enfin on n'avait pas vraiment de voiles mais c'était toujours mieux que l'espèce de rafiot de Juan et sa bande, qui préfigurait déjà l'épave qu'il n'allait pas tarder à devenir.
Alors que les epsilons incriminés s'apprêtaient à défendre leur honneur injustement mis en cause, le «vient au fait» sec et claquant d'Élisabeth mit une nouvelle fois un terme à leurs velléités de protestation.
-Bref, ils ont quand même réussi à nous suivre sur la rivière et on a fini par atteindre cette immense clairière. En fait, c'en était pas vraiment une mais c'est juste que tous les arbres qui bordaient le cours d'eau étaient morts dans un rayon de plusieurs centaines de mètres. On a alors accosté pour étudier la situation plus en détail.