Ce chapitre est dédié à BakkaPhoenix Books à Toronto, Canada. Bakka est
la plus ancienne librairie de science fiction du monde, et c'est elle
qui a fait de moi le mutant que je suis aujourd'hui. Je m'y suis
aventuré pour la première fois quand j'avais environ 10 ans et y ai
demandé conseil. Tanya Huff (oui, LA Tanya Huff, mais elle n'était pas
encore un écrivain célèbre à l'époque) m'a emmené au rayon des livres
d'occasion et m'a fourré dans les mains une édition de « Little Fuzzy »,
de H. Beam Piper, ce qui a changé ma vie à jamais. D'ici à ce que
j'atteigne mes 18 ans, je travaillais chez Bakka — j'ai remplacé Tanya
quand elle est partie pour écrire à plein temps — et j'ai appris des
leçons inoubliables sur les façons et les raisons pour lesquelles les
gens achètent des livres. Je pense que tout écrivain devrait travailler
dans une librairie (et une pléthore d'écrivains ont travaillé chez Bakka
au fil des années ! Pour le 30e anniversaire du magasin, il est sorti
une anthologie de nouvelles écrites par les écrivains de Bakka, incluant
des œuvres de Michelle Sagara (aussi connue sous le nom de Michelle
West), Tanya Huff, Nalo Hopkinson, Tara Tallan –et moi-même !)
BakkaPhoenix Books: 697 Queen Street West, Toronto ON Canada M6J1E6, +1
416 963 9993
Je suis en Terminale au lycée Cesar Chavez de San Francisco, dans le
district de Sunny Mission, et ça fait de moi l'une des personnes les
plus surveillées au monde. Mon nom est Marcus Yallow, mais au moment où
commence cette histoire, je me faisais appeler w1n5t0n. Prononcer
« Winston ». Ne pas prononcer « doubleuh-vé-un-ène-cinq-té-zéro-ène » — à
moins que vous ne soyez un pion demeuré suffisamment à la traîne pour en
être encore à qualifier Internet d'« autoroute de l'information ». Je
connais exactement ce genre d'individu abruti, et il s'appelle Fred
Benson, l'un des trois vice-principaux à Cesar Chavez. Ce mec est une
plaie, du genre pneumothorax. Mais tant qu'à avoir un geôlier, autant
qu'il soit à la rue plutôt qu'il touche sa bille. « Marcus Yallow »,
dit-il au haut-parleur un vendredi matin. Ce haut-parleur n'est déjà pas
de la grande Hi-Fi, si on ajoute à ça les habituelles marmonnements de
Benson, on obtient un son qui évoque plus quelqu'un qui lutte pour
digérer un mauvais burrito qu'une annonce officielle de l'école. Mais
les être humains sont bons pour reconnaître leur nom dans du bruit audio
— ça aide à la survie. J'ai attrapé mon sac et refermé mon laptop aux
trois quarts — je ne voulais pas perdre mes téléchargements en cours —
et me suis préparé pour l'inévitable.
— Présentez-vous à bureau de l'administration immédiatement.
Mon prof d'éducation civique, Madame Galvez, m'a regardé en levant les
yeux au ciel, et je l'ai regardée en levant les yeux au ciel. Ce type
était toujours après moi, simplement parce que je passais à travers les
firewalls de l'école comme à travers des kleenex mouillés, que je
trompais les logiciels de reconnaissance de pas, et que je tuais aux
micro-ondes les puces avec lesquelles ils nous traquent. Galvez est
chouette, par contre, elle ne m'en a jamais voulu pour ça (surtout pas
quand je lui donne un coup de pouce avec son webmail pour qu'elle puisse
parler à son frère qui est en garnison en Irak). Mon ami Darryl m'a claqué
les fesses quand je suis passé devant lui. J'ai connu Darryl depuis que
nous avions des couches et que nous faisions le mur de l'école
maternelle, et je l'ai enfoncé dans les ennuis et retiré des ennuis
depuis. J'ai secoué mes mains jointes au-dessus de ma tête comme si
j'avais gagné un prix, je suis sorti de l'Éducation Civique, et j'ai
entamé la marche vers le bureau. À mi-course, mon téléphone a sonné.
C'était aussi tout à fait interdit — les téléphones sont sehr
verbotten à Chavez High — mais pourquoi est-ce que ça m'aurait arrêté ?
Je me suis faufilé aux toilettes et je me suis enfermé dans la cabine du
milieu (celle du fond est toujours la plus sale parce que tout le monde
s'y précipite dans l'espoir d'éviter les odeurs — le bon plan, et la
meilleure hygiène, sont au milieu). J'ai vérifié mon téléphone — mon PC
de la maison lui avait envoyé un mail pour lui annoncer qu'il y avait du
nouveau sur Harajuku Fun Madness, qui se trouve être le meilleur jeu
jamais inventé. J'ai eu un grand sourire. Passer ses vendredis à
l'école, c'est naze de toute façon, et j'étais content d'avoir une
raison de prendre le large. J'ai parcouru le reste du chemin jusqu'au
bureau de Benson et l'ai salué d'un grand geste en passant la porte.
— Mais n'est-ce pas là doubleuh-vé-un-ène-cinq-té-zéro-ène, il a dit.
Frederick Benson — numéro de sécurité sociale 545-03-2343, né le 15 août
1962, nom de jeune fille de la mère Di Bona, résidant à Petaluma — est
largement plus grand que moi. Je mesure à peine 1 mètre 70, alors qu'il
culmine à près de deux mètres, et ses années de basketball à
l'université sont suffisamment loin derrière lui pour que ses pectoraux
soient devenus des espèces de nichons pour homme qui ressortent de façon
péniblement immanquable à travers ses polos promotionnels de dot-coms. Il
a toujours l'air sur le point de vous claquer la tronche, et il adore monter
le ton pour donner de l'effet dramatique. Mais ces deux tactiques
perdent de leur efficacité quand on les rabâche.
— Désolé, non, j'ai dit : je n'ai jamais entendu parlé de ce R2D2 dont
vous parlez.
— W1n5t0n, il a dit, de nouveau en épelant.
Il m'a fixé un moment en fonçant les sourcils, en espérant que je me
démonte. Bien sûr, c'était mon pseudo, et ça faisait des années que ça
l'était. C'était l'identité que j'utilisais quand je postais sur les
forums où je contribuais à la recherche en sécurité appliquée. Vous
savez, comme s'évader de l'école ou désactiver la balise de localisation
sur mon téléphone. Mais lui ne savait pas que c'était mon pseudo. Seul
un petit nombre de gens le savaient, et j'avais en chacun d'eux une
confiance absolue.
— Hmmm, ça ne me dit rien, ai-je dit.
J'avais fait quelques trucs pas mal sous ce pseudo — j'étais très fier
de mon travail sur les tueurs de puces cafteuses — et s'il arrivait à
lier mes deux identités, j'aurais des ennuis. Personne à l'école ne
m'appelait jamais w1n5t0n, ni même Winston. Pas même mes amis. C'était
Marcus, ou rien.Benson s'est assis derrière son bureau et a commencé à
tapoter sa chevalière nerveusement. Il faisait ça à chaque fois que ça
tournait mal pour lui. Les joueurs de pocker appellent ça tell — quelque
chose qui vous dit ce qui se passe dans la tête du gars en face. Je
connais les tell de Benson à l'envers et à l'endroit.
— Marcus, j'espère que tu comprends à quel point c'est sérieux.
— Je comprendrai dès que vous m'aurez expliqué de quoi il s'agit,
monsieur.
Je dis toujours « monsieur » aux figures d'autorité quand je fais le
malin. C'est mon propre tell. Il a secoué la tête et m'a regardé de très
haut, encore un tell. D'un moment à l'autre, il allait me hurler dessus.
— Écoute, gamin ! Il est temps que tu comprennes que nous savons ce que
tu as fait, et que nous n'allons pas laisser passer ça. Tu as de la
chance si tu n'es pas expulsé avant la fin de cette entrevue. Tu le
veux, ton bac ?
— Monsieur Benson, vous ne m'avez toujours pas expliqué quel est le
problème…
Il a tapé du poing contre son bureau en me pointant de l'index.
— Le problème, monsieur Yallow, est que tu es complice d'une entreprise
criminelle visant à subvertir les systèmes de sécurité de cette école,
et que tu as fourni des contre-mesures à tes camarades. Tu sais que nous
avons expulsé Graciella Uriarte la semaine dernière pour avoir utilisé
un de tes engins.
Uriarte s'était mise dans la mouise. Elle avait acheté un brouilleur
radio dans un magasin de bricolage près de la station de métro de la
16ème rue et il avait déclenché les contre-mesures du corridor de
l'école. Je n'avais rien à voir avec ça, mais j'avais mal pour elle.
— Et vous pensez que je suis impliqué là-dedans ?
— Nous avons des renseignements probants qui indiquent que tu es
w1n5t0n — une nouvelle fois, il l'a épelé, et j'ai commencé à me
demander s'il avais seulement compris que le « 1 » se lisait « I » et que le
« 5 » se lisait « S ».
— Nous savons que ce w1n5t0n est responsable du vol des tests standards de
l'année dernière.
En fait, ça n'avait pas été moi, mais c'était un joli hack, et c'était plutôt
flatteur de me le voir attribué.
— Et en conséquence, passible de plusieurs années de prison si tu ne coopères
pas avec moi.
— Vous avez des renseignements probants ? Puis-je les voir ?
Il m'a foudroyé du regard.
— Ton impertinence ne va pas t'aider.
— S'il y a des preuves, monsieur, je pense que vous devriez appeler la
police et les leur confier. L'affaire a l'air sérieuse, et je ne
voudrais pas interférer avec une enquête en bonne et due forme des
autorités compétentes.
— Tu veux que j'appelle la police ?
— Et mes parents, je pense. Ça vaudrait sans doute mieux.
Nous nous sommes fixés par-dessus le bureau. Il s'était clairement
attendu à ce que je me couche à la seconde où il lâcherait sa bombe. Je
ne me couche pas. J'ai un truc pour soutenir le regard de gens comme
Benson. Je regarde légèrement à gauche de leur tête, et je pense à des
paroles de chansons traditionnelles, du genre qui ne finissent pas. Ça me
donne un air posé et détaché.
« Un kilomètre à pied, ça uuuuuseuh, ça uuuuseuh, un kilomètre à pied,
ça uuuuseuh les souliers. La peinture à l'huileuh, c'est bien
diiiiffiiicileuh, mais c'est bieeeeen pluuuus beauuuu, que la peinture à
l'eau. Un éléphant qui se baaaaaaalançait… sur uneuh toileuh
d'arraignééééé-euh… trouveuh ce jeu si intéressant, qu'il y invit'un
autreuh éléphant. La meilleure façon d'marcher, c'est encore la
nôôôôôôtreuh, c'est de mettre un pied d'vant l'autre, et
d'recommencer. »
« Deux kilomètres à pied… »
— Tu peux retourner en classe !, a-t-il aboyé, je te rappellerai quand
la police sera là pour te parler.
— Vous allez les appeler maintenant ?
— La procédure pour appeler la police est compliquée. J'espérais que je
pourrais régler cette affaire en étant juste et rapide, mais puisque tu
insistes…
— C'est juste que je peux attendre pendant que vous les appelez. ai-je
dit, ça ne m'ennuie pas.
Il s'est remis à tapoter sa chevalière et je me suis préparé à
l'explosion.
— Dégage !, a-t-il hurlé. Fous-moi le camp de ce bureau, espèce de
misérable petit…
Je suis sorti, en gardant une expression neutre. Jamais il n'appellerait
les flics. S'il avait eu assez de preuves pour impliquer la police, il
aurait commencé par les appeler. Il ne pouvait pas me blairer. J'imagine
qu'il avait entendu des bruits de couloir sans substance et qu'il avait
espéré me les faire confirmer en me déstabilisant. J'ai avancé dans le
corridor d'une démarche légère et élastique, en gardant mes foulées bien
régulières et mesurées pour les caméras de reconnaissance de pas. Elles
avaient été installées l'année précédente, et je les adorais pour leur
massive imbécillité. Avant ça, on avait eu des caméras à reconnaissance
de visages qui couvraient pratiquement tous les espaces publics de
l'école, mais un tribunal les avait jugées anticonstitutionnelles.
Alors, Benson et beaucoup d'autres administrateurs scolaires
paranoïaques avaient claqué les budgets pour nos manuels sur ces caméras
idiotes qui étaient censées pouvoir différencier la démarche d'une
personne de celle d'une autre personne. Mais bien sûr. Je suis retourné
en classe et me suis rassis, Madame Galvez saluant mon retour
chaleureusement. J'ai déballé mon ordinateur fourni en standard par
l'école et me suis remis en mode cours. Le SchoolBook relève de la plus
cafteuse des technologies, enregistrant la frappe de chaque touche,
surveillant tout le trafic réseau à la recherche de mots-clefs suspects,
comptant les clics, gardant la trace de chaque petite idée qu'on émet
sur le net. On les avait reçus en seconde, et il avait suffit de
quelques mois pour qu'ils ne paraissent plus tous beaux tous brillants.
Dès que les gens ont eu pigé que ces portables « gratuits » étaient en
fait des espions — et nous passaient un flux incessant de publicités
exaspérantes, par-dessus le marché — ils sont soudainement devenus lourds et
encombrants. Il avait été facile de cracker mon Schoolbook. Le crack
était sur Internet moins d'un mois après que la machine était sortie,
et ça n'était pas sorcier — simplement télécharger une image DVD, la
graver, mettre le DVD dans le SchoolBook, et le démarrer tout en
enfonçant un certain nombre de touches du clavier. Le DVD faisait le
reste, et installait toute une collection de programmes cachés sur la
machine, programmes qui resteraient invisibles même quand le Conseil des
Proviseurs effectuait ses vérifications quotidiennes des machines. De
temps en temps, il fallait mettre les logiciels à jour pour échapper aux
nouveaux tests du Conseil, mais c'était un prix raisonnable pour avoir
au moins un peu le contrôle de l'ordinateur. J'ai démarré IMParanoid, la
messagerie instantanée secrète que j'utilisais quand je voulais bavarder
pendant les cours sans que ça se sache. Darryl était déjà dessus.
— Je déclare la partie ouverte ! Il y a du sensationnel sur Harajuku Fun
Madness, mon pote. Tu es des nôtres ?
— Pas question. Si je me fais chopper à sécher les cours une troisième
fois, je me fais expulser, mec. Je t'ai déjà dit. On ira après les
cours.
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— Tu as une pause pour déjeuner et ensuite un heure libre, non ? Ca te
— Tu as une pause pour déjeuner et ensuite un heure libre, non ? Ça te
d624ea3ea89f65ea6e133bc30cc302f6a72ee86f fait deux heures. Ça nous laisse tout le temps de chasser cet indice et de revenir avant qu'on nous remarque. Je bas le rappel de toute l'équipe.
Harajuku Fun Madness est le meilleur jeu jamais créé. Je sais, je l'ai déjà dit, mais ça vaut la peine d'être répété. C'est un JRA, un Jeu de Réalité Alternative, sur une trame où une bandes d'ados japonais découvrent une pierre de jouvence miraculeuse dans le temple de Harajuku, l'endroit où les adolescents japonais branchés ont inventé pratiquement toutes les sous-cultures majeures des 10 dernières années. Ils sont pourchassés par des moines du Mal, des yakuza (la mafia japonaise), les extra-terrestres, les inspecteurs du fisc, leurs parents, et une intelligence artificielle renégate. Ils passent aux joueurs des messages codés que nous devons déchiffrer et utiliser pour trouver des indices qui mènent à d'autres messages et encore plus d'indices et ainsi de suite. Imaginez le meilleur après-midi que vous ayez jamais vécu à zoner en ville en observant tous les gens bizarres, les poignées de main secrètes, les cinglés vivants rues et les échoppes excentriques.
Ajoutez une chasse au trésor à tout ça, une qui demande de faire des
recherches dans des vieux films dingues et dans les cultures d'ados à
travers les âges et les continents. Et c'est une compétition, où la
meilleure équipe de quatre gagne un premier prix de 10 jours à Tokyo
pour se promener sur le pont d'Harajuku, geeker à Akihabara, et
rapporter tout ce qu'on peut soulever en merchandising Astro le Petit
Robot. Sauf qu'ils l'appellent « Atom Boy », au Japon. Harajuku Fun
Madness, c'est ça, et quand on a résolu une énigme ou deux, on devient
accro.
— Non, mec, juste non. NON. Ne me le demande même pas.
— Mais j'ai besoin de toi, D. Tu es le meilleur que j'aie. Je te jure
qu'on sera revenus avant que personne ne nous remarque. Tu sais que je
peux le faire, n'est-ce pas ?
— Je sais que tu peux le faire.
— Alors, tu viens ?
— Putain, non !
— Oh, allez, Darryl. Sur ton lit de mort, ton regret, ça ne sera pas de
ne pas avoir passé plus de temps assis à l'école.
— Sur mon lit de mort, mon grand regret ne sera pas non plus de ne pas
avoir passé plus de temps à jouer à des jeux.
— Ouais mais tu ne penses pas que tu pourrais regretter de ne pas avoir
passé plus de temps avec Vanessa Pak ?
Van était un membre de mon équipe. Darryl en était raide amoureux depuis
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des années — même depuis avant que la puberté lui ait accordé des
des années — même depuis avant que la puberté lui ait accordé des
d624ea3ea89f65ea6e133bc30cc302f6a72ee86f cadeaux généreux. Darrly était tombé amoureux de son esprit. Triste, en vérité.
— Tu es vraiment un connard.
— Alors, tu viens ?
Il m'a regardé en secouant la tête. Puis il a acquiescé. Je lui ai fait un clin d'œil et j'ai entrepris de me mettre en contact avec les autres membres de l'équipe.
Je n'ai pas toujours joué à des JRA. J'ai un noir secret : avant, je
jouais à des GN. Un GN, c'est un jeu de rôle Grandeur Nature, et c'est
exactement ça : on court dans tous les sens en costume, en parlant avec
un accent, et en jouant le rôle d'un super-espion, ou d'un vampire, ou
d'un chevalier du Moyen-Âge. C'est comme Capture du Drapeau, mais
déguisé, et avec des éléments de club d'impro dedans. Les meilleurs GN
étaient ceux qu'on jouait dans des camps de scouts hors de la ville, à
Sonomo ou plus bas dans la Péninsule. Ces épopées de trois jours
pouvaient devenir assez éprouvantes, avec de la randonnée toute la
journée, des bataille homériques avec des épées en latex, des sortilèges
lancés sous forme de chiffons noués tout en criant « Boule de Feu ! », et
ainsi de suite. On s'amuse vraiment bien, même si ça a l'air un peu
tarte. Mais de loin pas aussi geek que de parler des plans de vie de
votre Elfe assis autour d'une table avec du Coca light en peignant des
figurines, et plus physique que de se plonger dans le coma devant un jeu
massivement multijoueur à la maison.
Ce qui m'a attiré des ennuis, c'est les mini-GNs dans les hôtels. À
chaque fois qu'une convention de science-fiction se tenait en ville, il
y avait des GNistes pour les convaincre de nous laisser lancer quelques
mini-jeux de six heures pendant l'événement, en profitant de ce qu'ils
avaient loué l'espace. Les gamins enthousiastes qui couraient partout en
costume donnaient du pittoresque à l'événement, et nous, nous pouvions
nous amuser comme des fous au milieu de gens encore plus socialement
marginaux que nous. Le problème des hôtels est qu'on y trouve aussi
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plein de non-joueurs, aussi — et pas seulement les fans ds SF. Des gens
normaux. Venant d'États dont le nom commence et finit par une voyelle. En
vacances. Et parfois, ces gens comprennent mal à nature du jeu. Mais
plein de non-joueurs, aussi — et pas seulement les fans de SF. Des gens normaux. Venant d'États dont le nom commence et finit par une voyelle. En vacances. Et parfois, ces gens comprennent mal la nature du jeu. Mais
d624ea3ea89f65ea6e133bc30cc302f6a72ee86f laissons ça de côté, d'accord ?
Le cours finissait dans dix minutes, et ça ne me laissait pas beaucoup
de temps pour me préparer. En premier lieu, il y avait ces minables
caméras à reconnaissance de pas. Comme je disais, elles avaient commencé
leur carrière comme caméras à reconnaissance de visages, mais ça, ça
avait été jugé anticonstitutionnel. Pour autant que je sache, aucun
tribunal ne s'était prononcé pour dire que la reconnaissance des pas
était plus légale, mais d'ici à ce que la question soit tranchée, nous
les avions dans les pattes.
La démarche, c'est la façon dont on marche. Les gens sont assez bons
pour reconnaitre des démarches — la prochaine fois que vous faites du
camping, regardez la façon dont une lampe de poche bouge dans le
lointain quand un ami s'approche de vous. Il y a de bonnes chances pour
que vous sachiez qui c'est rien qu'aux mouvements de la lampe, la façon
typique dont elle semble rebondir inspire à votre cerveau simiesque que
c'est telle personne qui approche. Les logiciels de reconnaissance de
pas vous photographient pendant votre mouvement et essayent de vous
isoler dans l'image comme une silhouette, et ensuite tentent de faire
correspondre cette silhouette à une base de données pour voir s'ils vous
connaissent. C'est un identificateur biométrique, comme les empreintes
digitales ou les empreintes rétiniennes, mais ça présente bien plus de
« collisions » que celles-ci. Une « collision » biométrique survient
lorsqu'une mesure correspond à plus d'une personne. Vous êtes le seul à
avoir vos empreintes digitales, mais vous partagez votre démarche avec
quantité d'autres gens. Pas exactement, bien sûr. Votre démarche
personnelle, au millimètre près, est à vous et à vous seul. Le problème,
c'est que votre démarche au millimètre change selon que vous êtes plus
ou moins fatigué, en fonction du sol, de si vous vous êtes bousillé la
cheville au basket, ou se si vous avez récemment changé de chaussures.
Alors, le système lisse votre profil, pour rechercher des gens qui
marchent un peu comme vous. Il y a des tas de gens qui marchent un peu
comme vous. De plus, il vous est facile de ne pas marcher un peu comme
vous-même — il vous suffit d'enlever une chaussure. Bien sûr, vous
marchez toujours comme vous-même-avec-une-seule-chaussure, dans ce cas,
alors les caméras vont finir par comprendre que c'est toujours vous.
C'est pourquoi je préfère introduire un peu d'aléatoire dans mes
attaques contre la reconnaissance de pas : je mets une poignée de
gravier dans chacune de mes chaussures. Pas cher, efficace, et il n'y a
plus deux pas qui soient identiques. En plus, vous gagnez un super
massage réflexologique des pieds, dans l'histoire (je blague. La
réflexologie est à peu près aussi scientifiquement utile que la
reconnaissance automatique des pas).
Initialement, les caméras déclenchaient une alarme à chaque fois que
quelqu'un d'inconnu mettait un pied sur le campus. Ça ne marchait pas.
L'alarme sonnait toutes les dix minutes. Quand le facteur faisait sa
tournée. Quand un parent passait. Quand les services d'entretien
entamaient la réfection du terrain de basket. Quand un élève venait avec
de nouvelles chaussures. Alors, maintenant, le système essayait juste de
tenir la trace de qui était où et quand. Si quelqu'un franchissait le
portail du lycée pendant les cours, ses pas étaient analysés pour
vérifier s'ils ne correspondaient pas plus ou moins aux pas d'un élève,
et si c'était le cas, Woup-woup-woup, l'alarme sonnait ! Le lycée Chavez
est entouré d'allées de gravier. J'aime bien en avoir quelques-uns à
portée de main dans mon sac à dos, juste au cas où. J'ai passé en
silence une dizaine ou une quinzaine de ces petites saletés pleines de
pointes à Darryl, et nous en avons tous les deux bourré nos chaussures.
Le cours touchait à sa fin — et je me suis rendu compte que je n'avais
toujours pas regardé où le prochain indice serait sur le site de
Harajuku Fun Madness ! Je m'étais laissé obnubiler par l'évasion, et je
ne m'étais même pas soucié de savoir vers où nous nous échappions. Je
suis retourné au SchoolBook et j'ai frappé le clavier. Le navigateur
Internet que nous utilisions était fourni avec la machine. C'était une
version espion verrouillée d'Internet Explorer, le planticiel merdique
de Microsoft que plus personne de moins de 40 ans n'aurait utilisé
volontairement. J'avais une copie de Firefox sur le disque USB intégré à
ma montre, mais ça ne suffirait pas — le SchoolBook tournant sous
Vista4Schools, un système d'exploitaton antique conçu pour donner aux
administrateurs des écoles l'illusion qu'ils auraient le contrôle sur
quels logiciels leurs élèves pourraient lancer. Mais Vista4Schools est
son propre pire ennemi. Il y a toute une pléthore de programmes que
Vista4Schools ne veut pas que vous puissiez éteindre — les keyloggers
qui enregistrent les frappes au clavier, les censorwares qui limitent
l'accès à Internet — et ces programmes tournent sous un mode spécial qui
les rend invisibles au système. Vous ne pouvez pas les éteindre parce que
vous ne pouvez même pas voir qu'ils sont là. Tout programme dont le nom
commence par
Je résoudrai ces énigmes plus tard, quand je rentrerai à la maison.
Elles sont plus faciles à résoudre en groupe, à télécharger des tonnes
de fichiers dojinshi et les écumer à la recherche des solutions. Je
venais de récupérer tous les indices quand la cloche a sonné et que nous
avons commencé notre évasion. J'ai discrètement glissé les gravillons
dans le côté de mes bottes — des Blundstone australiennes qui
maintiennent la cheville, parfaites pour la course et l'escalade, et
sans lacets, ce qui permet de les enlever et de les remettre comme des
pantoufles, ce qui est bien pratique pour passer les détecteurs de métal
qui poussent partout. Nous devions aussi échapper à la surveillance
physique, bien sûr, mais ça, ça devient un peu plus facile à chaque fois
qu'ils ajoutent une nouvelle couche de flicage électronique — tous ces
gadgets et ces machins inspirent à notre faculté bien-aimée une
impression de sécurité totalement illusoire. Nous nous sommes faufilés
dans la foule des couloirs, en direction de ma sortie de service
préférée. Nous étions à la moitié du chemin quand Darryl a sifflé
— Merde ! J'ai oublié, j'ai un livre de la bibliothèque dans mon sac !
— Tu te fous de moi ?, j'ai dit, et je l'ai traîné dans les plus
proches toilettes. Les livres de la bibliothèque sont une saleté. Chacun
d'eux contient un arphid — une puce RFID — collé dans sa reliure, ce qui
permet aux bibliothécaires de les ranger rien qu'en agitant un lecteur
devant eux, et qui permet au rayon de bibliothèque lui-même de vous dire
si un livre est à sa place ou non. Mais ça permet aussi à l'école de
vous suivre à la trace en permanence. C'est encore un de ces trous dans
la loi : les tribunaux ne permettraient pas aux écoles de nous fliquer
avec des arphids, mais rien ne leur interdit de suivre les livres, et
ensuite d'utiliser les listes de la bibliothèque pour dire qui avait
probablement ces livres avec lui. J'avais une petite enveloppe de
Faraday dans mon sac à doc — ce sont des sortes de porte-monnaie doublé
d'un réseau de fils de cuivre qui bloque les rayonnements radio, ce qui
rend les arphids muets. Mais ces enveloppes sont conçues pour
neutraliser des cartes d'identité et les transpondeurs dans des petites
brochures, mais pas des livres comme — « Introduction à la Physique ? »,
grognai-je. Le livre avait la taille d'un dictionnaire.