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Chapitre 13 {.calibre1}

Ce chapitre est dédié à Books-a-Million, une chaîne de gigantesques librairies répendue dans tous le USA. Je suis entré en contact avec Books-a-million pour la première fois pendant un séjour dans un hôtel de Terre Haute, dans l’Indiana (je devais faire un discours au Rose Hulman Institute of Technology plus tard ce jour-là). Le magasin était juste à côté de mon hôtel et il me fallait vraiment de quoi lire — j’avais voyagé pendant un bon mois et j’avais lu tout ce qu’il y avait dans ma valise, et j’avais encore cinq villes à parcourir avant de rentrer chez moi. Comme je fixais les rayonnages, une libraire m’a demandé si elle pouvait m’aider. J’ai déjà travaillé dans des librairies, et un libraire qui connaît son affaire vaut son poids en or fin, de sorte que j’ai dit bien sûr, et que j’ai commencé à décrire mes goûts, en citant des auteurs que j’avais aimés. La libraire a souri et dit “j’ai là un livre qui vous ira comme un gant”, et elle a commencé à sortir un exemplaire de mon premier roman, “Down and Out in the Magic Kingdom”. J’ai éclaté de rire, je me suis présenté, et me suis retrouvé au beau milieu d’une conversation passionante sur la science-fiction, qui a bien failli me faire arriver en retard pour mon discours !
Books-A-Million

— “Ce sont de vraies putes”, a dit Ange, en crachant le mot. “Non, en fait, c’est une insulte aux prostituées qui travaillent dur de par le monde. C’est… c’est des profiteurs !”
Nous contemplions une pile de journaux que nous avions achetés et emportés dans le café. Ils proposaient tous des “reportages” sur la fête dans Dolores Park et chacun d’eux jusqu’au dernier en faisaient une orgie d’alcool et de drogue où des enfants avaient aggressé les policiers. USA Today décrivait le coût de l’”émeute”, y incluant le coût du lavage des résidus de gaz lacrymogène venus du bonmbardement au gaz, la marée d’attaques d’asthme qui encombrait les salles d’urgence de la ville, et le coût des procédures contre les centaines
d’”émeutiers” arrêtés. Personne ne donnait notre version des faits.
— “Bon, ceux de Xnet ont de bonnes versions, en tout cas”, ai-je dit.
J’avais enregistré un paquet de blogs et de vidéos sur mon smartphone et je les lui ai montrés. C’étaient des récits de première main de gens qui avaient été gazés et tabassés. Les vidéos nous montraient tous en train de danser, de nous amuser, montraient les discours politiques pacifiques et les slogan de “Reprenons-la”, et Trudy Doo qui parlait de nous comme étant la seule génération
qui pourrait croire dans le combat pour nos libertés.
— “Nous devons montrer ça aux gens”, a-t-elle dit.
— “Ouais”, ai-je répondu sombrement. “C’est joli, en théorie”.
— “Ben, qu’est-ce qui te fait croire que la presse ne publie jamais ce que notre
camp pense ?”
— “Tu l’as dit, c’est des putes. “
— “Ouais, mais les putes font ce qu’elle font pour de l’argent. Ils pourraient vendre plus de journaux et de publicité s’il y avait une controverse. Tout ce qu’ils ont pour le moment, c’est de la criminalité — une controverse, c’est bien meilleur”
— “OK, bon argument. Mais alors, pourquoi est-ce qu’ils ne le font pas ? Ben les reporters arrivent à peine à lire les blogs normaux, alors tenir la trace de ceux qui sont sur Xnet… C’est n’est pas comme si c’était vraiment un endroit conçu pour les adultes.”
— “Ouais”, a-t-elle dit. “Eh bien, on peut régler ça, pas vrai ?”
— “Hein ?”
— “Ecris tout ça. Mets-le à un endroit, avec tous les liens. Un seul endroit où ils pourront aller, prévu pour que la presse le trouve, et où ils pourront avoir toute l’histoire. Mets-y des liens vers les HOWTO pour Xnet. Les utilisateurs d’Internet peuvent accéder au Xnet, pour peu qu’ils se fichent que le DSI sache ce qu’ils sont allés surfer.”
— “Tu penses que ça marcherait ?”
— “Ben, même si ça ne marche pas, ça serait un truc de constructif à faire.”
— “Pourquoi est-ce qu’ils nous écouteraient, de toute façon ?”
— “Qui est-ce qui n’écouterait pas ce que M1k3y aura à dire ?”
J’ai reposé mon café. J’ai récupéré mon smartphone et l’ai glissé dans ma poche. Je me suis levé, ai tourné les talons, et suis sorti du café. J’ai pris une direction au hasard et j’ai marché. Ma visage me paraissait serré, tout mon sang était parti à mon estomac, qui était comme chiffonné. Ils savent qui tu es, j’ai pensé. Ils savent qui est M1k3y. Si Ange avait deviné, le DSI aussi. J’étais perdu. J’avais su ça depuis qu’ils m’avaient laissé sortir du camion du DSI, qu’un jour ils viendraient pour m’arrêter et qu’ils me feraient disparaître pour toujours, pour m’envoyer là où Darryl avait disparu.
Tout était fini.
Elle m’a pratiquement plaqué au sol quand j’arrivais sur Market Street. Elle était hors d’haleine et semblait furieuse.
— “C’est quoi, ton foutu problème, Môssieur ?”
Je me suis dégagé et j’ai continué à marcher. Tout était fini.
Elle m’a agrippé à nouveau.
— “Arrête ça, Marcus, tu me fais peur. Allez, parle-moi.”
Je me suis arrêté et je l’air regardé. Elle est devenue floue devant mes yeux. Je n’arrivais à rien mettre au point. J’avais l’envie démente de sauter devant un trolleybus du Muni qui passait près de nous, au milieu de la rue. Plutôt mourir que d’y retourner.
— “Marcus !” Elle a fait quelque chose que je n’avais jamais vu faire que dans les films. Elle m’a gifflé, une claque violente en plein visage. “Parle-moi, bon sang !”
Je l’ai regardée et j’ai porté ma main à mon visage, qui me piquait fort.
— “Personne ne devrait savoir qui je suis”, ai-je dit. “Je ne peux pas dire ça plus simplement. Si tu sais, tout est fini. Une fois que les gens savent, tout est fini.”
— “Oh bon Dieu, je suis désolée. Ecoute, je sais seulement parce, ben, parce que j’ai fait du chantage à Jolu. Après la fête je t’ai suivi un moment, pour savoir si tu étais vraiment le brave type que tu avais l’air d’être ou si tu étais un tueur en série. Je connais Jolu depuis longtemps et quand je lui ai posé des questions sur toi, il s’est répendu en compliments comme si tu étais le nouveau Messie ou quelque chose, mais j’entendais bien qu’il y avait quelque chose qu’il
ne me disait pas. Ca fait une baille que je connais Jolu, il sortait avec ma grande soeur à un camp d’informatique quand il était gosse. J’ai des trucs bien crades sur lui. Je lui ai dit que je balancerais tout ça s’il ne me disait pas ce qu’il y avait.  “
— “Et alors il t’a tout dit”
— “Non”, a-t-elle répondu. “Il m’a dit d’aller me faire voir. Et alors, je lui
ai dit quelque chose sur moi. Quelque chose que je n’avais jamais dit à personne.”
— “Quoi ?”
Elle m’a jeté un regard. A regardé autour de nous. Est revenue à moi.
— “OK. Je ne vais pas te faire jurer le secret parce que quel sens ça aurait ?
Soit je peux te faire confiance, soit je ne peux pas. L’année dernière — ” Elle s’est étranglée. “L’année dernière, j’ai volé les test standardisés et je les ai publiés sur le net. C’était juste une blage. Il se trouve que je passais devant le bureau du proviseur et je les ai vus dans son coffre-fort, et la porte était ouvert béante. Je me suis faufilée dans son bureau — il y avait six jeux de copies, j’en ai juste fourré un dans mon sac et je suis repartie. En arrivant chez moi, j’ai tout scanné et j’ai tout mis sur un serveur du Parti Pirate au Danemark”
— “C’était toi ?” me suis-je exclamé. Elle a rougi.
— “Hum. Oui.”
— “Putain de merde !” me suis-je exclamé. Ca avait été un vrai scandale. Le Bureau de l’Education avait dit que ces tests du programme “No Child Left Behind” avaient coûté des dizaines de millions de dollars à produire et qu’ils devraient dépenser toute cette fortune une nouvelle fois maintenant qu’il y avait eu une fuite. Ils avaient appelé ça de “l’édu-terrorisme”. Les média avaient spéculé sans fin sur les motivations politiques de la fuite, se demandant si c’était la protestation d’un enseignant, ou un étudiant, ou un
voleur, ou un contractuel gouvernemental désabusé.
— “C’était TOI ?”
— “C’était moi”, a-t-elle répondu.
— “Et tu as dit ça à Jolu — “
— “Parce que je voulais qu’il soit sûr que je garderais le secret. S’il
connaissait mon secret, alors il aurait quelque chose qu’il pourrait utiliser pour me faire mettre en prison si je l’ouvrais. Donner un petit peu, recevoir un petit peu. Tit for tat, comme dans le Silence des Agneaux.”
— “Et il t’a dit”
— “Non”, a-t-elle dit. “Il n’en n’a rien fait”.
— “Mais –”
— “Alors je lui ai dit à quel point d’en pinçais pour toi. Comment je planifiais de me ridiculiser complètement et de me jeter à ta tête. Alors, là, il m’a dit.”
Je ne voyais pas quoi dire, alors. J’ai fixé mes orteils. Elle a pris mes mains et les a serrées.
— “Je suis désolée de lui avoir arraché ça. C’était à toi de décider de me dire, si tu avais voulu me le dire un jour. Ca n’était pas mes affaires –”
— “Non”, ai-je dit. Maintenant que je savais comment elle avait trouvé, je commençais à me calmer. “Non, c’est une bonne chose que tu saches. Toi. “
— “Moi, ” a-t-elle répondu. “Ma petit personne.”
— “OK, je vivre avec. Mais il y a une autre chose.”
— “Quoi ?”
— “Il n’y a pas de façon de dire ça sans avoir l’air d’un connard, alors je vais juste le dire. Les gens qui sortent ensemble — ou quoi que ce soit qu’on fait maintenant — ils se séparent. Quand ils se séparent, ils se fâchent l’un contre l’autre. Parfois ils se haïssent même. C’est pas cool d’imaginer que ça nous arriverait à nous, mais tu sais, on doit y penser. “
— “Je promets solennellement que rien que tu puisses jamais me faire ne me fera trahir ton secret. Rien. Baise une douzaine de majorettes dans mon lit pendant que ma mère regarde. Fais-moi écouter du Britney Spears. Bousille mon laptop, détruits-le à coup de marteau et plonge-le dans l’eau de mer. Je te jure. Rien. Jamais. “
J’ai expiré un peu d’air.
— “Hum”, j’ai dit.
— “Ca serait un bon moment pour s’embrasser”, a-t-elle dit en levant le visage.

La nouveau grand projet de M1k3y sur Xnet était de rassembler une collection ultime de rapports sur la fête PAS CONFIANCE à Dolores Park. J’ai assemblé le site le plus grand, le plus méchant que j’ai pu, avec des sections qui montraient l’action par lieu, par heure, par catégorie — violences policières, danse, suites, chansons. J’ai uploadé tout le concert. C’est essentiellement tout ce sur quoi j’ai travaillé tout la nuit. Et la nuit suivante. Et celle d’après.
Ma boite mail débordait de suggestions de gens. Ils m’envoyaient des copines de leurs téléphones et de leurs appareils photo de poche. Puis j’ai reçu un mail d’un nom que je connaissais — Dr Eeevil (trois “e”s), l’un des principaux mainteneurs de ParanoidLinux.

> M1k3y
> J’ai suivi ton expérience avec Xnet avec grand intérêt. Ici en Allemagne, on a pas mal d’expérience sur ce qui arrive quand un gouvernement est hors de contrôle.
> Une chose que tu devrais savoir, c’est que chaque appareil photo a une “signature de bruit” unique qui peut s’utiliser pour lier une photo à un appareil. Ca veut dire que les photos que tu rediffuses sur ton site pourraient potentiellement être utilisées pour identifer les photographes, s’ils se font attraper après pour quelque chose d’autre.
> Heureusement, il n’est pas dur d’éliminer ces signatures, si tu prends la peine de le faire. Il y a un outil dans la distribution de ParanoidLinux que tu utilises qui fait ça — il s’appelle photonomous, et tu le trouves dans /usr/bin. Tu n’as qu’à lire les man pages pour la documentation. Mais c’est pas compliqué.
> Bonne chance avec ce que tu fais. Ne te fais pas chopper. Reste libre. Reste
parano.
> Dr Eeevil.

J’ai anonymisé toutes les photo que j’avais postées et que les ai remises en ligne, avec une note expliquant ce que m’avait dit Dr Eeevil pour avertir tous les autres qu’ils devaient faire pareil. Nous avions tous les mêmes installations ParanoidXbox de base, de sorte que nous pouvions tous anonymiser nos images. Il n’y avait rien
que je puisse faire avec les photos déjà téléchargées et copiées dans des caches, mais à partir de maintenant nous serions un peu plus malins. C’est là toute l’attention que j’ai accordée à cette qestion cette nuit-là, jusqu’à ce que je descende pour le petit déjeuner le lendemain matin et que je trouve ma mère avec la radio allumée sur le journal du matin de NPR.
« L’agence d’actualités arabe Al-Jazeera a publié des photographies, des vidéos et des témoignages directs des émeutes de jeunes du week-end dernier dans Mission Dolores Park», a dit le présentateur pendant que je buvais mon verre de jus d’orange. J’ai réussi à ne pas le cracher partout dans toute la pièce, mais je me suis étranglé à
moitié. « Les reporters d’Al-Jazeera » affirment que ces témoignages ont été publiés sur ce qui s’appelle « Xnet », un réseau clandestin qu’utilisent les étudiants et les sympatisants d’Al-Qaida dans la zone de la Baie. L’existence du réseau a longtemps fait l’objet de rumeurs, mais aujourd’hui marque sa première mention dans la presse
grand public.»
Ma mère a hoché la tête : « Il ne manquait plus que ça », a-t-elle dit,
« comme si la police ne nous faisait pas assez d’ennuis. Des gamins qui courent dans tous les sens en jouant aux guerrilleros et leur donnent un prétexte pour lancer une vraie répression ».
« Les blogs de Xnet ont publié des centaines de reportages et de fichiers multimédias de jeunes gens qui ont pris part aux émeutes et prétendent que leur réunion était pacifique jusqu’à ce que la police les attaque. Voici l’un de ces témoignages:»
«Tout ce qu’on faisait, c’était danser. J’ai emmené mon petit frère. Les groupes jouaient et nous parlions de la liberté, et de comment on est en train de se la faire prendre par ces connards qui disent qu’ils combattent les terroristes mais qui nous attaquent nous alors qu’on n’est pas des terroristes, on est des Américains. Je pense que c’est eux qui haïssent la liberté, pas nous. On dansait et les groupes jouaient et c’était cool et tout d’un coup les flics ont commencé nous crier de nous disperser. On a tous crié Reprenons-la !, on veut dire reprenons l’Amérique. Les flics nous ont gazés avec des
sprays au poivre. Mon petit frère a douze ans. Il a raté trois jours d’école. Mes idiots de parents disent que c’est ma faute. Et la police, alors ? On paie leurs salaires et ils sont censés nous protéger mais ils nous ont gazé sans aucune raison, gazés comme ils gazent des soldats ennemis.»
« D’autres témoignages semblables, y compris en audio et en vidéo, se trouvent sur le site d’Al-Jazeera et sur Xnet. Vous trouverez des instructions pour accéder à ce Xnet sur la page web de NPR. »
Mon père est decendu.
« Est-ce que tu utilises Xnet ? » a-t-il demandé. Il a scruté mon visage avec intensité. Je me suis senti tressaillir. « Ca sert pour les jeux vidéo », ai-je répondu. « c’est à ça que la plupart des gens l’utilisent. C’est juste un réseau sans fil. C’est ce qui se fait avec ces Xbox gratuites qui se distribuaient gratuitement l’année dernière. » Il m’a fusillé du regard. « Des jeux ? Marcus, tu n’en n’as pas conscience, mais vous aidez à se cacher des gens qui complotent des attentats et la destruction de ce pays. Je ne veux pas te voir utiliser Xnet. Plus maintenant. Est-ce que je me suis bien fait comprendre ? » J’ai voulu répondre.
Bon sang, j’aurais voulu le secouer par les épaules. Mais je n’en n’ai rien fait. J’ai détourné le regard. J’ai dit « Bien sûr, Papa. » Je suis allé à l’école.

D’abord, ça m’a rassuré quand j’ai découvert qu’on n’allait pas laisser M. Benson donner le cours de sciences sociales. Mais la femme qu’ils avaient trouvée pour le remplacer était mon pire cauchemar.
Elle était jeune, dans les 28 ou 29 ans, et jolie, d’une façon assez commune. Elle était blonde et parlait avec un doux accent du Sud quand elle s’est présentée à nous comme Madame Andersen. Ca m’a fait tiquer. Je ne connais pas une seule femme de moins de soixante ans qui parle d’elle-même comme « Madame ». Mais j’étais prêt à en faire abstraction. Elle était jeune, jolie, et avait l’air gentille. Ca irait sûrement.
Ca n’allait pas. « Dans quelles circonstances est-ce que le gouvernement devrait être prêt à suspendre la Charte des Droits fondamentaux ? » a-t-elle demandé, en écrivant une colonne de chiffre de un à dix.
« Jamais », ai-je dit sans attendre qu’on me donne la parole. C’était facile. « Les droits constitutionnels sont absolus »
« Ca n’est pas une vision des choses très sophistiquée ». Elle a jeté un oeil au plan de classe. « Marcus. Par exemple, supposons qu’un policier conduise une fouille illégale — il dépasse le cadre de son mandat. Il découvre des preuves indiscutables qu’un sale type a tué ton père. Ce sont les seules preuves qui existent. Est-ce que le
sale type devrait s’en sortir libre ? »
Je connaissais la répondre à cette question, mais je ne pouvais pas vraiment l’expliquer.
« Oui », ai-je finalement dit. « Mais la police ne devrait pas conduire de fouilles illégales »
« Faux », a-t-elle dit. « La conséquence d’une action de police illégale doit être une sanction disciplinaire contre le fonctionnaire, pas une punition de toute la société pour l’erreur d’un policier ».
Elle a écrit « Culpabilité criminelle » au point Un sur le tableau.
« D’autres façons dont les Droits fondamentaux peuvent s’annuler ? »
Charles a levé la main.
« Crier au feu dans un théâtre bondé ? »
« Très bien, … » elle a consulté son plan, « Charles. Il y a de nombreux cas où le
Premier Amendement, qui définit la liberté d’expression, n’est pas absolu. Faisons une
liste avec quelques exemples. »
Charles a levé la main une nouvelle fois.
« Mettre la vie d’un officier de police en danger ».
« Exact, révéler l’identité d’un policier en civil ou d’un officier de renseignements.
Très bien.»
Elle a noté.
« D’autres exemples ? »
« La sécurité nationale », a dit Charles sans attendre qu’on lui donne la parole. « La
calomnie. L’obscénité. Le détournement de mineurs. La pornographie infantile. Les recettes
pour fabriquer des bombes ».
Madame Andersen a tout noté rapidement, mais s’est arrêtée à la pornographie infantile.
« La pornogrpahie infantile n’est rien qu’un cas particulier d’obscénité ».
Je me sentais malade. Ce n’était pas ce que j’avais appris ou ce que je croyais sur mon
pays. J’ai levé la main.
« Oui, Marcus ?»
« Je ne comprends pas. Vous avez l’air de dire que la Charte des Droits est optionnelle.
C’est la Constitution. On est censé y obéir absolument. »
« C’est ce qui se dit souvent à force de trop simplifier », a-t-elle dit avec un sourire
faux. « mais en réalité, les rédacteurs de la Constitution la voyaient comme un document
vivant, qui se réviserait au cours du temps. Ils comprenaient que la République ne durerait
pas éternellement si le gouvernement en exercice ne pouvait pas gouvernement selon les
nécessités du moment. Ils n’ont jamais voulu que l’on envisage la Constitution comme une
doctrine religieuse. Après tout, ils étaient venus ici parce qu’ils fuyaient la doctrine
religieuse. »
J’ai secoué la tête.
« Quoi ? Non. C’étaient des marchands et des artisans loyaux à leur roi jusqu’à ce qu’il
institue des règlements contraires à leurs intérêts et qu’il les mette en vigueur avec
brutalité. Les réfugiés religieux étaient bien avant. »
« Certains des Pères Fondateurs descendaient des réfugiés religieux », a-t-elle dit.
« Et la Charte des Droits n’est pas quelque chose dont on choisit ce qui nous plaît ou pas.
Ce que les Pères Fondateurs combattaient, c’était la tyrannie. C’est ce que la Charte des
Droits vise à empêcher. Ils étaient une armée révolutionnaire et voulaient un ensemble de
principes auxquels tout le monde pourrait souscrire. La vie, la liberté et la recherche du
bonheur. Le droit des gens à renverser leurs oppresseurs. »
« Oui, oui » a-t-elle dit en agitant la main dans ma direction. « Ils croyaient au droit
des gens à se débarasser de leurs rois, mais… »
Charles souriait à pleines dents et quand elle a dit ceci, son sourire s’est encore élargi.
« Ils ont rédigé la Charte des Droits parce qu’ils pensaient qu’avoir des droits absolus
valait mieux que le risque que quelqu’un les leur enlève. Comme le Premier Amendement: il
est censé nous protéger en empêchant le gouvernement de créer deux sortes d’expression,
l’expression autorisée et l’expression criminelle. Ils ne voulaient pas se retrouver devant
un connard qui déciderait que tout ce qu’il trouverait déplaisant était illégal ».
Elle s’est retournée et a écrit « La vie, la liberté et la recherche du bonheur ».
« Nous sommes un peu en avance sur le programme du cours, mais vous avez l’air d’un
groupe avancé » Les autres ont ri à ces mots, nerveusement. « Le rôle du gouvernement est
d’assurer aux citoyens le droit à la vie, à la liberté et à la recherche du bonheur. Dans
cet ordre. C’est comme un filtre. Si le gouvernement veut faire quelque chose qui nous rend
un peu malheureux, ou qui nous prive de certaines de nos libertés, c’est possible du moment
qu’il le fait pour nous sauver la vie. C’est la raison pour laquelle la police peut vous
mettre en détention s’ils pensent que vous constituez un danger pour vous-même ou pour les
autres. Vous perdez votre liberté et du bonheur pour protéger votre vie. Tant que vous avez
la vie, vous pouvez toujours obtenir la liberté et le bonheur plus tard. »
Certains des autres avaient la main levée.
« Est-ce que ça ne veut pas dire qu’on peut nous faire n’importe quoi, tant qu’on raconte
ensuite que c’était pour nous empêcher de faire mal à quelqu’un dans l’avenir ?»
« Ouais », a dit un autre élève, « on dirait que vous dites que la sécurité nationale est
plus importante que la Constitution. »
J’étais vraiment fier de mes camarades. J’ai dit:
« Comment peut-on protéger la liberté en suspendant les droits fondamentaux ? »
Elle a secoué la tête comme si nous étions vraiment stupides.
« Les Pères Fondateurs “révolutionnaires” fusillaient les traîtres et les espions. Ils ne
croyaient pas à des libertés absolues, pas quand ça mettaient la République en péril.
Regardez, prenez ces gens du Xnet » — j’ai fait tout mon possible pour ne pas me raidir –
« ces gens qui s’appellent Brouilleurs et qui étaient dans les actualités ce matin.
Après que cette ville a été attaquée par des gens qui ont déclaré la guerre au pays,
ils se sont lancés dans le sabotage des mesures de sécurité mises en place pour attraper
les méchants et les empêcher de frapper à nouveau. Ils l’ont fait en mettant les autres
citoyens en danger et en les ennuyant…»
« Ils l’ont fait pour montrer qu’on nous enlève nos droit en prétendant les protéger !»,
ai-je dit. Bon, soit, j’ai crié. Bon Dieu, elle m’énervait tellement. « Ils l’ont fait
parce que le gouvernement traite tout le monde comme un suspect de terrorisme ».
« Alors pour prouver qu’ils ne devraient pas se faire traiter comme des terroristes »,
a crié Charles en réponse, « ils se sont mis à agir comme des terroristes ?»
Je bouillais.
« Oh pour l’amour du Ciel ! Agir comme des terroristes ? Ils ont prouvé que la
surveillance universelle était plus dangereuse que le terrorisme. Regarde ce qui s’est
passé dans le parc l’autre week-end. Ces gens étaient en train de danser et d’écouter de
la musique. En quoi est-ce que c’est du terrorisme ? »
Le professeur a traversé la pièce et s’est tenue devant moi, en se penchant au-dessus de
moi jusqu’à ce que je la boucle.
« Marcus, tu as l’air de penser que rien n’a changé dans ce pays. Tu dois comprendre que
la destruction du Bay Bridge a tout changé. Des milliers de nos amis et de nos proches sont
morts au fond de la baie. Nous devons nous unir pour faire face à l’insulte violente que notre
pays a endurée… »
Je me suis levé. J’en avait assez entendu de ces imbécilités sur « tout a changé ».
« Nous unir ? La raison d’être de l’Amérique, c’est que nous sommes un pays où les
opinions diverses sont les bienvenues. Nous sommes un pays de dissidents, de militants,
de gens qui plaquent leurs études, et de gens qui parlent librement. »
J’ai repensé à la dernière lesson de Madame Galvez et aux milliers d’étudiants de
Berkeley qui avaient encerclé le fourgon de police quand ils avaient essayé d’arrêter
un type pour distribution de tracts sur les droits civils. Personne n’avait essayé
d’arrêter les camions qui partaient avec tous les gens qui avaient dansé dans le Parc.
Je n’avais pas essayé. J’étais occupé à m’enfuir. Peut-être que quelque chose avait
changé.
« Je crois que tu sais où se trouve le bureau de Monsieur Benson », m’a-t-elle dit.
« Tu vas t’y rendre immédiatement. Je ne tolérerai pas de comportement irrespectueux
pendant mes cours. Pour quelqu’un qui prétend chérir la liberté d’expression, tu es
remarquablement prêt à couvrir de tes hurlements les opinions différents des tiennes. »
J’ai ramassé mon SchoolBook et mon sac, et je suis sorti en trombe. La porte avait un
piston à gaz, et était donc impossible à claquer, sinon je l’avais claquée. Je me suis
rendu à toute vitesse dans le bureau de Monsieur Benson. Des caméras m’ont filmées dans
mon trajet. Ma démarche était enregistrée. Les Arphids de ma carte d’étudiant diffusaient
mon identité aux senseurs du couloir.
C’était comme être en prison.
« Ferme la porte, Marcus », a dit Monsieur Benson. Il a retourné son écran pour que je
puisse voir la séquence vidéo du cours de Sciences Sociales. Il avait tout surveillé.
« Qu’est-ce que tu as à dire pour ta défense ? »
« Ca n’était pas de l’enseignement, c’était de la propagande ! Elle nous a dit que la
Constitution n’avait aucune importance ! »
« Non, elle a dit que ce n’était pas un dogme religieux. Et tu l’as attaquée comme une
espèce de fondamentaliste, une bonne illustration de son propos. Marcus, entre tous, tu
devrais comprendre que tout a changé quand le pont a sauté. Ton ami Darryl…»
« Je vous interdis de dire un mot à propos de lui», ai-je dit, hors de moi. « Vous n’êtes
pas digne d’en parler. Oui, je vois bien que tout est différent maintenant. Nous étions
un pays libre. Maintenant ce n’est plus le cas. »
« Marcus, est-ce que tu sais ce que signifie “tolérance zéro” ? »
Je me suis tassé. Il pouvait me faire expluser pour « comportement menaçant ». Cettee
mesure visait les gamins des gangs qui essayaient d’intimider leurs professeurs. Mais
évidemment il n’aurait aucun scrupule à l’utiliser contre moi.
« Oui », ai-je dit, « je sais ce que ça veut dire. »
« Je pense que tu me dois des excuses. »
Je lui ai lancé un regard. Il avait du mal à contenir un sourire sadique. Une partie
de moi voulait ramper. Elle voulait mendier son pardon et me couvrir de honte. J’ai
rejeté cette partie et décidé que je préfèrerais me faire virer que de présenter des
excuses.
« Les gouvernements sont institués par les hommes, tirent leurs justes pouvoirs
du consentement de ceux qu’ils gouvernent, et lorsque toute forme de gouvernement
devient hostile à ces buts, c’est le droit du peuple de le modifier ou de l’abolir,
et d’instituer un nouveau gouvernement, en basant ses fondations sur ces principes,
et en organisant ses pouvoirs de telle façon qu’ils concourent à sa sécurité et à
son bonheur.»
Je m’en souvenais mot pour mot. Il a secoué la tête.
« Savoir les choses par coeur n’est pas la même chose que les comprendre, fiston. »
Il s’est penché sur son ordinateur et a cliqué quelques fois. Son imprimante a
bourdonné. Il m’a donné une feuille de papier à entête toute chaude qui m’annonçait
une suspension de deux semaines.
« Je vais la transmettre à tes parents par e-mail tout de suite. Si tu es toujours
sur le domaine de l’école dans trente minutes, je te fais arrêter pour violation de
propriété privée. »
Je l’ai regardé.
« Tu n’as pas intérêt à me déclarer la guerre dans ma propre école », a-t-il dit.
« Tu ne peux pas gagner cette guerre. Va-t-en! »
Je suis parti.