Ce chapitre est dédié à Books-a-Million, une chaîne de gigantesques
librairies répendue dans tous le USA. Je suis entré en contact avec
Books-a-million pour la première fois pendant un séjour dans un hôtel de
Terre Haute, dans l’Indiana (je devais faire un discours au Rose Hulman
Institute of Technology plus tard ce jour-là). Le magasin était juste à
côté de mon hôtel et il me fallait vraiment de quoi lire — j’avais
voyagé pendant un bon mois et j’avais lu tout ce qu’il y avait dans ma
valise, et j’avais encore cinq villes à parcourir avant de rentrer chez
moi. Comme je fixais les rayonnages, une libraire m’a demandé si elle
pouvait m’aider. J’ai déjà travaillé dans des librairies, et un libraire
qui connaît son affaire vaut son poids en or fin, de sorte que j’ai dit
bien sûr, et que j’ai commencé à décrire mes goûts, en citant des
auteurs que j’avais aimés. La libraire a souri et dit “j’ai là un livre
qui vous ira comme un gant”, et elle a commencé à sortir un exemplaire
de mon premier roman, “Down and Out in the Magic Kingdom”. J’ai éclaté
de rire, je me suis présenté, et me suis retrouvé au beau milieu d’une
conversation passionante sur la science-fiction, qui a bien failli me
faire arriver en retard pour mon discours !
Books-A-Million
— “Ce sont de vraies putes”, a dit Ange, en crachant le mot. “Non, en
fait, c’est une insulte aux prostituées qui travaillent dur de par le
monde. C’est… c’est des profiteurs !”
Nous contemplions une pile de journaux que nous avions achetés et
emportés dans le café. Ils proposaient tous des “reportages” sur la fête
dans Dolores Park et chacun d’eux jusqu’au dernier en faisaient une
orgie d’alcool et de drogue où des enfants avaient aggressé les
policiers. USA Today décrivait le coût de l’”émeute”, y incluant le coût
du lavage des résidus de gaz lacrymogène venus du bonmbardement au gaz,
la marée d’attaques d’asthme qui encombrait les salles d’urgence de la
ville, et le coût des procédures contre les centaines
d’”émeutiers” arrêtés. Personne ne donnait notre version des faits.
— “Bon, ceux de Xnet ont de bonnes versions, en tout cas”, ai-je dit.
J’avais enregistré un paquet de blogs et de vidéos sur mon smartphone et
je les lui ai montrés. C’étaient des récits de première main de gens qui
avaient été gazés et tabassés. Les vidéos nous montraient tous en train
de danser, de nous amuser, montraient les discours politiques pacifiques
et les slogan de “Reprenons-la”, et Trudy Doo qui parlait de nous comme
étant la seule génération
qui pourrait croire dans le combat pour nos libertés.
— “Nous devons montrer ça aux gens”, a-t-elle dit.
— “Ouais”, ai-je répondu sombrement. “C’est joli, en théorie”.
— “Ben, qu’est-ce qui te fait croire que la presse ne publie jamais ce
que notre
camp pense ?”
— “Tu l’as dit, c’est des putes. “
— “Ouais, mais les putes font ce qu’elle font pour de l’argent. Ils
pourraient vendre plus de journaux et de publicité s’il y avait une
controverse. Tout ce qu’ils ont pour le moment, c’est de la criminalité
— une controverse, c’est bien meilleur”
— “OK, bon argument. Mais alors, pourquoi est-ce qu’ils ne le font pas ?
Ben les reporters arrivent à peine à lire les blogs normaux, alors tenir
la trace de ceux qui sont sur Xnet… C’est n’est pas comme si c’était
vraiment un endroit conçu pour les adultes.”
— “Ouais”, a-t-elle dit. “Eh bien, on peut régler ça, pas vrai ?”
— “Hein ?”
— “Ecris tout ça. Mets-le à un endroit, avec tous les liens. Un seul
endroit où ils pourront aller, prévu pour que la presse le trouve, et où
ils pourront avoir toute l’histoire. Mets-y des liens vers les HOWTO
pour Xnet. Les utilisateurs d’Internet peuvent accéder au Xnet, pour peu
qu’ils se fichent que le DSI sache ce qu’ils sont allés surfer.”
— “Tu penses que ça marcherait ?”
— “Ben, même si ça ne marche pas, ça serait un truc de constructif à
faire.”
— “Pourquoi est-ce qu’ils nous écouteraient, de toute façon ?”
— “Qui est-ce qui n’écouterait pas ce que M1k3y aura à dire ?”
J’ai reposé mon café. J’ai récupéré mon smartphone et l’ai glissé dans
ma poche. Je me suis levé, ai tourné les talons, et suis sorti du café.
J’ai pris une direction au hasard et j’ai marché. Ma visage me
paraissait serré, tout mon sang était parti à mon estomac, qui était
comme chiffonné. Ils savent qui tu es, j’ai pensé. Ils savent qui est
M1k3y. Si Ange avait deviné, le DSI aussi. J’étais perdu. J’avais su ça
depuis qu’ils m’avaient laissé sortir du camion du DSI, qu’un jour ils
viendraient pour m’arrêter et qu’ils me feraient disparaître pour
toujours, pour m’envoyer là où Darryl avait disparu.
Tout était fini.
Elle m’a pratiquement plaqué au sol quand j’arrivais sur Market Street.
Elle était hors d’haleine et semblait furieuse.
— “C’est quoi, ton foutu problème, Môssieur ?”
Je me suis dégagé et j’ai continué à marcher. Tout était fini.
Elle m’a agrippé à nouveau.
— “Arrête ça, Marcus, tu me fais peur. Allez, parle-moi.”
Je me suis arrêté et je l’air regardé. Elle est devenue floue devant mes
yeux. Je n’arrivais à rien mettre au point. J’avais l’envie démente de
sauter devant un trolleybus du Muni qui passait près de nous, au milieu
de la rue. Plutôt mourir que d’y retourner.
— “Marcus !” Elle a fait quelque chose que je n’avais jamais vu faire
que dans les films. Elle m’a gifflé, une claque violente en plein
visage. “Parle-moi, bon sang !”
Je l’ai regardée et j’ai porté ma main à mon visage, qui me piquait
fort.
— “Personne ne devrait savoir qui je suis”, ai-je dit. “Je ne peux pas
dire ça plus simplement. Si tu sais, tout est fini. Une fois que les
gens savent, tout est fini.”
— “Oh bon Dieu, je suis désolée. Ecoute, je sais seulement parce, ben,
parce que j’ai fait du chantage à Jolu. Après la fête je t’ai suivi un
moment, pour savoir si tu étais vraiment le brave type que tu avais
l’air d’être ou si tu étais un tueur en série. Je connais Jolu depuis
longtemps et quand je lui ai posé des questions sur toi, il s’est
répendu en compliments comme si tu étais le nouveau Messie ou quelque
chose, mais j’entendais bien qu’il y avait quelque chose qu’il
ne me disait pas. Ca fait une baille que je connais Jolu, il sortait
avec ma grande soeur à un camp d’informatique quand il était gosse. J’ai
des trucs bien crades sur lui. Je lui ai dit que je balancerais tout ça
s’il ne me disait pas ce qu’il y avait. “
— “Et alors il t’a tout dit”
— “Non”, a-t-elle répondu. “Il m’a dit d’aller me faire voir. Et alors,
je lui
ai dit quelque chose sur moi. Quelque chose que je n’avais jamais dit à
personne.”
— “Quoi ?”
Elle m’a jeté un regard. A regardé autour de nous. Est revenue à moi.
— “OK. Je ne vais pas te faire jurer le secret parce que quel sens ça
aurait ?
Soit je peux te faire confiance, soit je ne peux pas. L’année dernière —
” Elle s’est étranglée. “L’année dernière, j’ai volé les test
standardisés et je les ai publiés sur le net. C’était juste une blage.
Il se trouve que je passais devant le bureau du proviseur et je les ai
vus dans son coffre-fort, et la porte était ouvert béante. Je me suis
faufilée dans son bureau — il y avait six jeux de copies, j’en ai juste
fourré un dans mon sac et je suis repartie. En arrivant chez moi, j’ai
tout scanné et j’ai tout mis sur un serveur du Parti Pirate au
Danemark”
— “C’était toi ?” me suis-je exclamé. Elle a rougi.
— “Hum. Oui.”
— “Putain de merde !” me suis-je exclamé. Ca avait été un vrai scandale.
Le Bureau de l’Education avait dit que ces tests du programme “No Child
Left Behind” avaient coûté des dizaines de millions de dollars à
produire et qu’ils devraient dépenser toute cette fortune une nouvelle
fois maintenant qu’il y avait eu une fuite. Ils avaient appelé ça de
“l’édu-terrorisme”. Les média avaient spéculé sans fin sur les
motivations politiques de la fuite, se demandant si c’était la
protestation d’un enseignant, ou un étudiant, ou un
voleur, ou un contractuel gouvernemental désabusé.
— “C’était TOI ?”
— “C’était moi”, a-t-elle répondu.
— “Et tu as dit ça à Jolu — “
— “Parce que je voulais qu’il soit sûr que je garderais le secret. S’il
connaissait mon secret, alors il aurait quelque chose qu’il pourrait
utiliser pour me faire mettre en prison si je l’ouvrais. Donner un petit
peu, recevoir un petit peu. Tit for tat, comme dans le Silence des
Agneaux.”
— “Et il t’a dit”
— “Non”, a-t-elle dit. “Il n’en n’a rien fait”.
— “Mais –”
— “Alors je lui ai dit à quel point d’en pinçais pour toi. Comment je
planifiais de me ridiculiser complètement et de me jeter à ta tête.
Alors, là, il m’a dit.”
Je ne voyais pas quoi dire, alors. J’ai fixé mes orteils. Elle a pris
mes mains et les a serrées.
— “Je suis désolée de lui avoir arraché ça. C’était à toi de décider de
me dire, si tu avais voulu me le dire un jour. Ca n’était pas mes
affaires –”
— “Non”, ai-je dit. Maintenant que je savais comment elle avait trouvé,
je commençais à me calmer. “Non, c’est une bonne chose que tu saches.
Toi. “
— “Moi, ” a-t-elle répondu. “Ma petit personne.”
— “OK, je vivre avec. Mais il y a une autre chose.”
— “Quoi ?”
— “Il n’y a pas de façon de dire ça sans avoir l’air d’un connard, alors
je vais juste le dire. Les gens qui sortent ensemble — ou quoi que ce
soit qu’on fait maintenant — ils se séparent. Quand ils se séparent, ils
se fâchent l’un contre l’autre. Parfois ils se haïssent même. C’est pas
cool d’imaginer que ça nous arriverait à nous, mais tu sais, on doit y
penser. “
— “Je promets solennellement que rien que tu puisses jamais me faire ne
me fera trahir ton secret. Rien. Baise une douzaine de majorettes dans
mon lit pendant que ma mère regarde. Fais-moi écouter du Britney Spears.
Bousille mon laptop, détruits-le à coup de marteau et plonge-le dans
l’eau de mer. Je te jure. Rien. Jamais. “
J’ai expiré un peu d’air.
— “Hum”, j’ai dit.
— “Ca serait un bon moment pour s’embrasser”, a-t-elle dit en levant le
visage.
La nouveau grand projet de M1k3y sur Xnet était de rassembler une
collection ultime de rapports sur la fête PAS CONFIANCE à Dolores Park.
J’ai assemblé le site le plus grand, le plus méchant que j’ai pu, avec
des sections qui montraient l’action par lieu, par heure, par catégorie
— violences policières, danse, suites, chansons. J’ai uploadé tout le
concert. C’est essentiellement tout ce sur quoi j’ai travaillé tout la
nuit. Et la nuit suivante. Et celle d’après.
Ma boite mail débordait de suggestions de gens. Ils m’envoyaient des
copines de leurs téléphones et de leurs appareils photo de poche. Puis
j’ai reçu un mail d’un nom que je connaissais — Dr Eeevil (trois “e”s),
l’un des principaux mainteneurs de ParanoidLinux.
> M1k3y
> J’ai suivi ton expérience avec Xnet avec grand intérêt. Ici en
Allemagne, on a pas mal d’expérience sur ce qui arrive quand un
gouvernement est hors de contrôle.
> Une chose que tu devrais savoir, c’est que chaque appareil photo a
une “signature de bruit” unique qui peut s’utiliser pour lier une photo
à un appareil. Ca veut dire que les photos que tu rediffuses sur ton
site pourraient potentiellement être utilisées pour identifer les
photographes, s’ils se font attraper après pour quelque chose d’autre.
> Heureusement, il n’est pas dur d’éliminer ces signatures, si tu
prends la peine de le faire. Il y a un outil dans la distribution de
ParanoidLinux que tu utilises qui fait ça — il s’appelle photonomous, et
tu le trouves dans /usr/bin. Tu n’as qu’à lire les man pages pour la
documentation. Mais c’est pas compliqué.
> Bonne chance avec ce que tu fais. Ne te fais pas chopper. Reste
libre. Reste
parano.
> Dr Eeevil.
J’ai anonymisé toutes les photo que j’avais postées et que les ai
remises en ligne, avec une note expliquant ce que m’avait dit Dr Eeevil
pour avertir tous les autres qu’ils devaient faire pareil. Nous avions
tous les mêmes installations ParanoidXbox de base, de sorte que nous
pouvions tous anonymiser nos images. Il n’y avait rien
que je puisse faire avec les photos déjà téléchargées et copiées dans
des caches, mais à partir de maintenant nous serions un peu plus malins.
C’est là toute l’attention que j’ai accordée à cette qestion cette
nuit-là, jusqu’à ce que je descende pour le petit déjeuner le lendemain
matin et que je trouve ma mère avec la radio allumée sur le journal du
matin de NPR.
« L’agence d’actualités arabe Al-Jazeera a publié des photographies, des
vidéos et des témoignages directs des émeutes de jeunes du week-end
dernier dans Mission Dolores Park», a dit le présentateur pendant que je
buvais mon verre de jus d’orange. J’ai réussi à ne pas le cracher
partout dans toute la pièce, mais je me suis étranglé à
moitié. « Les reporters d’Al-Jazeera » affirment que ces témoignages ont
été publiés sur ce qui s’appelle « Xnet », un réseau clandestin
qu’utilisent les étudiants et les sympatisants d’Al-Qaida dans la zone
de la Baie. L’existence du réseau a longtemps fait l’objet de rumeurs,
mais aujourd’hui marque sa première mention dans la presse
grand public.»
Ma mère a hoché la tête : « Il ne manquait plus que ça », a-t-elle dit,
« comme si la police ne nous faisait pas assez d’ennuis. Des gamins qui
courent dans tous les sens en jouant aux guerrilleros et leur donnent un
prétexte pour lancer une vraie répression ».
« Les blogs de Xnet ont publié des centaines de reportages et de
fichiers multimédias de jeunes gens qui ont pris part aux émeutes et
prétendent que leur réunion était pacifique jusqu’à ce que la police les
attaque. Voici l’un de ces témoignages:»
«Tout ce qu’on faisait, c’était danser. J’ai emmené mon petit frère. Les
groupes jouaient et nous parlions de la liberté, et de comment on est en
train de se la faire prendre par ces connards qui disent qu’ils
combattent les terroristes mais qui nous attaquent nous alors qu’on
n’est pas des terroristes, on est des Américains. Je pense que c’est eux
qui haïssent la liberté, pas nous. On dansait et les groupes jouaient et
c’était cool et tout d’un coup les flics ont commencé nous crier de nous
disperser. On a tous crié Reprenons-la !, on veut dire reprenons
l’Amérique. Les flics nous ont gazés avec des
sprays au poivre. Mon petit frère a douze ans. Il a raté trois jours
d’école. Mes idiots de parents disent que c’est ma faute. Et la police,
alors ? On paie leurs salaires et ils sont censés nous protéger mais ils
nous ont gazé sans aucune raison, gazés comme ils gazent des soldats
ennemis.»
« D’autres témoignages semblables, y compris en audio et en vidéo, se
trouvent sur le site d’Al-Jazeera et sur Xnet. Vous trouverez des
instructions pour accéder à ce Xnet sur la page web de NPR. »
Mon père est decendu.
« Est-ce que tu utilises Xnet ? » a-t-il demandé. Il a scruté mon visage
avec intensité. Je me suis senti tressaillir. « Ca sert pour les jeux
vidéo », ai-je répondu. « c’est à ça que la plupart des gens
l’utilisent. C’est juste un réseau sans fil. C’est ce qui se fait avec
ces Xbox gratuites qui se distribuaient gratuitement l’année dernière. »
Il m’a fusillé du regard. « Des jeux ? Marcus, tu n’en n’as pas
conscience, mais vous aidez à se cacher des gens qui complotent des
attentats et la destruction de ce pays. Je ne veux pas te voir utiliser
Xnet. Plus maintenant. Est-ce que je me suis bien fait comprendre ? »
J’ai voulu répondre.
Bon sang, j’aurais voulu le secouer par les épaules. Mais je n’en n’ai
rien fait. J’ai détourné le regard. J’ai dit « Bien sûr, Papa. » Je suis
allé à l’école.
D’abord, ça m’a rassuré quand j’ai découvert qu’on n’allait pas laisser
M. Benson donner le cours de sciences sociales. Mais la femme qu’ils
avaient trouvée pour le remplacer était mon pire cauchemar.
Elle était jeune, dans les 28 ou 29 ans, et jolie, d’une façon assez
commune. Elle était blonde et parlait avec un doux accent du Sud quand
elle s’est présentée à nous comme Madame Andersen. Ca m’a fait tiquer.
Je ne connais pas une seule femme de moins de soixante ans qui parle
d’elle-même comme « Madame ». Mais j’étais prêt à en faire abstraction.
Elle était jeune, jolie, et avait l’air gentille. Ca irait sûrement.
Ca n’allait pas. « Dans quelles circonstances est-ce que le gouvernement
devrait être prêt à suspendre la Charte des Droits fondamentaux ? »
a-t-elle demandé, en écrivant une colonne de chiffre de un à dix.
« Jamais », ai-je dit sans attendre qu’on me donne la parole. C’était
facile. « Les droits constitutionnels sont absolus »
« Ca n’est pas une vision des choses très sophistiquée ». Elle a jeté un
oeil au plan de classe. « Marcus. Par exemple, supposons qu’un policier
conduise une fouille illégale — il dépasse le cadre de son mandat. Il
découvre des preuves indiscutables qu’un sale type a tué ton père. Ce
sont les seules preuves qui existent. Est-ce que le
sale type devrait s’en sortir libre ? »
Je connaissais la répondre à cette question, mais je ne pouvais pas
vraiment l’expliquer.
« Oui », ai-je finalement dit. « Mais la police ne devrait pas conduire
de fouilles illégales »
« Faux », a-t-elle dit. « La conséquence d’une action de police illégale
doit être une sanction disciplinaire contre le fonctionnaire, pas une
punition de toute la société pour l’erreur d’un policier ».
Elle a écrit « Culpabilité criminelle » au point Un sur le tableau.
« D’autres façons dont les Droits fondamentaux peuvent s’annuler ? »
Charles a levé la main.
« Crier au feu dans un théâtre bondé ? »
« Très bien, … » elle a consulté son plan, « Charles. Il y a de nombreux
cas où le
Premier Amendement, qui définit la liberté d’expression, n’est pas
absolu. Faisons une
liste avec quelques exemples. »
Charles a levé la main une nouvelle fois.
« Mettre la vie d’un officier de police en danger ».
« Exact, révéler l’identité d’un policier en civil ou d’un officier de
renseignements.
Très bien.»
Elle a noté.
« D’autres exemples ? »
« La sécurité nationale », a dit Charles sans attendre qu’on lui donne
la parole. « La
calomnie. L’obscénité. Le détournement de mineurs. La pornographie
infantile. Les recettes
pour fabriquer des bombes ».
Madame Andersen a tout noté rapidement, mais s’est arrêtée à la
pornographie infantile.
« La pornogrpahie infantile n’est rien qu’un cas particulier d’obscénité
».
Je me sentais malade. Ce n’était pas ce que j’avais appris ou ce que je
croyais sur mon
pays. J’ai levé la main.
« Oui, Marcus ?»
« Je ne comprends pas. Vous avez l’air de dire que la Charte des Droits
est optionnelle.
C’est la Constitution. On est censé y obéir absolument. »
« C’est ce qui se dit souvent à force de trop simplifier », a-t-elle dit
avec un sourire
faux. « mais en réalité, les rédacteurs de la Constitution la voyaient
comme un document
vivant, qui se réviserait au cours du temps. Ils comprenaient que la
République ne durerait
pas éternellement si le gouvernement en exercice ne pouvait pas
gouvernement selon les
nécessités du moment. Ils n’ont jamais voulu que l’on envisage la
Constitution comme une
doctrine religieuse. Après tout, ils étaient venus ici parce qu’ils
fuyaient la doctrine
religieuse. »
J’ai secoué la tête.
« Quoi ? Non. C’étaient des marchands et des artisans loyaux à leur roi
jusqu’à ce qu’il
institue des règlements contraires à leurs intérêts et qu’il les mette
en vigueur avec
brutalité. Les réfugiés religieux étaient bien avant. »
« Certains des Pères Fondateurs descendaient des réfugiés religieux »,
a-t-elle dit.
« Et la Charte des Droits n’est pas quelque chose dont on choisit ce qui
nous plaît ou pas.
Ce que les Pères Fondateurs combattaient, c’était la tyrannie. C’est ce
que la Charte des
Droits vise à empêcher. Ils étaient une armée révolutionnaire et
voulaient un ensemble de
principes auxquels tout le monde pourrait souscrire. La vie, la liberté
et la recherche du
bonheur. Le droit des gens à renverser leurs oppresseurs. »
« Oui, oui » a-t-elle dit en agitant la main dans ma direction. « Ils
croyaient au droit
des gens à se débarasser de leurs rois, mais… »
Charles souriait à pleines dents et quand elle a dit ceci, son sourire
s’est encore élargi.
« Ils ont rédigé la Charte des Droits parce qu’ils pensaient qu’avoir
des droits absolus
valait mieux que le risque que quelqu’un les leur enlève. Comme le
Premier Amendement: il
est censé nous protéger en empêchant le gouvernement de créer deux
sortes d’expression,
l’expression autorisée et l’expression criminelle. Ils ne voulaient pas
se retrouver devant
un connard qui déciderait que tout ce qu’il trouverait déplaisant était
illégal ».
Elle s’est retournée et a écrit « La vie, la liberté et la recherche du
bonheur ».
« Nous sommes un peu en avance sur le programme du cours, mais vous avez
l’air d’un
groupe avancé » Les autres ont ri à ces mots, nerveusement. « Le rôle du
gouvernement est
d’assurer aux citoyens le droit à la vie, à la liberté et à la recherche
du bonheur. Dans
cet ordre. C’est comme un filtre. Si le gouvernement veut faire quelque
chose qui nous rend
un peu malheureux, ou qui nous prive de certaines de nos libertés, c’est
possible du moment
qu’il le fait pour nous sauver la vie. C’est la raison pour laquelle la
police peut vous
mettre en détention s’ils pensent que vous constituez un danger pour
vous-même ou pour les
autres. Vous perdez votre liberté et du bonheur pour protéger votre vie.
Tant que vous avez
la vie, vous pouvez toujours obtenir la liberté et le bonheur plus tard.
»
Certains des autres avaient la main levée.
« Est-ce que ça ne veut pas dire qu’on peut nous faire n’importe quoi,
tant qu’on raconte
ensuite que c’était pour nous empêcher de faire mal à quelqu’un dans
l’avenir ?»
« Ouais », a dit un autre élève, « on dirait que vous dites que la
sécurité nationale est
plus importante que la Constitution. »
J’étais vraiment fier de mes camarades. J’ai dit:
« Comment peut-on protéger la liberté en suspendant les droits
fondamentaux ? »
Elle a secoué la tête comme si nous étions vraiment stupides.
« Les Pères Fondateurs “révolutionnaires” fusillaient les traîtres et
les espions. Ils ne
croyaient pas à des libertés absolues, pas quand ça mettaient la
République en péril.
Regardez, prenez ces gens du Xnet » — j’ai fait tout mon possible pour
ne pas me raidir –
« ces gens qui s’appellent Brouilleurs et qui étaient dans les
actualités ce matin.
Après que cette ville a été attaquée par des gens qui ont déclaré la
guerre au pays,
ils se sont lancés dans le sabotage des mesures de sécurité mises en
place pour attraper
les méchants et les empêcher de frapper à nouveau. Ils l’ont fait en
mettant les autres
citoyens en danger et en les ennuyant…»
« Ils l’ont fait pour montrer qu’on nous enlève nos droit en prétendant
les protéger !»,
ai-je dit. Bon, soit, j’ai crié. Bon Dieu, elle m’énervait tellement. «
Ils l’ont fait
parce que le gouvernement traite tout le monde comme un suspect de
terrorisme ».
« Alors pour prouver qu’ils ne devraient pas se faire traiter comme des
terroristes »,
a crié Charles en réponse, « ils se sont mis à agir comme des
terroristes ?»
Je bouillais.
« Oh pour l’amour du Ciel ! Agir comme des terroristes ? Ils ont prouvé
que la
surveillance universelle était plus dangereuse que le terrorisme.
Regarde ce qui s’est
passé dans le parc l’autre week-end. Ces gens étaient en train de danser
et d’écouter de
la musique. En quoi est-ce que c’est du terrorisme ? »
Le professeur a traversé la pièce et s’est tenue devant moi, en se
penchant au-dessus de
moi jusqu’à ce que je la boucle.
« Marcus, tu as l’air de penser que rien n’a changé dans ce pays. Tu
dois comprendre que
la destruction du Bay Bridge a tout changé. Des milliers de nos amis et
de nos proches sont
morts au fond de la baie. Nous devons nous unir pour faire face à
l’insulte violente que notre
pays a endurée… »
Je me suis levé. J’en avait assez entendu de ces imbécilités sur « tout
a changé ».
« Nous unir ? La raison d’être de l’Amérique, c’est que nous sommes un
pays où les
opinions diverses sont les bienvenues. Nous sommes un pays de
dissidents, de militants,
de gens qui plaquent leurs études, et de gens qui parlent librement. »
J’ai repensé à la dernière lesson de Madame Galvez et aux milliers
d’étudiants de
Berkeley qui avaient encerclé le fourgon de police quand ils avaient
essayé d’arrêter
un type pour distribution de tracts sur les droits civils. Personne
n’avait essayé
d’arrêter les camions qui partaient avec tous les gens qui avaient dansé
dans le Parc.
Je n’avais pas essayé. J’étais occupé à m’enfuir. Peut-être que quelque
chose avait
changé.
« Je crois que tu sais où se trouve le bureau de Monsieur Benson »,
m’a-t-elle dit.
« Tu vas t’y rendre immédiatement. Je ne tolérerai pas de comportement
irrespectueux
pendant mes cours. Pour quelqu’un qui prétend chérir la liberté
d’expression, tu es
remarquablement prêt à couvrir de tes hurlements les opinions différents
des tiennes. »
J’ai ramassé mon SchoolBook et mon sac, et je suis sorti en trombe. La
porte avait un
piston à gaz, et était donc impossible à claquer, sinon je l’avais
claquée. Je me suis
rendu à toute vitesse dans le bureau de Monsieur Benson. Des caméras
m’ont filmées dans
mon trajet. Ma démarche était enregistrée. Les Arphids de ma carte
d’étudiant diffusaient
mon identité aux senseurs du couloir.
C’était comme être en prison.
« Ferme la porte, Marcus », a dit Monsieur Benson. Il a retourné son
écran pour que je
puisse voir la séquence vidéo du cours de Sciences Sociales. Il avait
tout surveillé.
« Qu’est-ce que tu as à dire pour ta défense ? »
« Ca n’était pas de l’enseignement, c’était de la propagande ! Elle nous
a dit que la
Constitution n’avait aucune importance ! »
« Non, elle a dit que ce n’était pas un dogme religieux. Et tu l’as
attaquée comme une
espèce de fondamentaliste, une bonne illustration de son propos. Marcus,
entre tous, tu
devrais comprendre que tout a changé quand le pont a sauté. Ton ami
Darryl…»
« Je vous interdis de dire un mot à propos de lui», ai-je dit, hors de
moi. « Vous n’êtes
pas digne d’en parler. Oui, je vois bien que tout est différent
maintenant. Nous étions
un pays libre. Maintenant ce n’est plus le cas. »
« Marcus, est-ce que tu sais ce que signifie “tolérance zéro” ? »
Je me suis tassé. Il pouvait me faire expluser pour « comportement
menaçant ». Cettee
mesure visait les gamins des gangs qui essayaient d’intimider leurs
professeurs. Mais
évidemment il n’aurait aucun scrupule à l’utiliser contre moi.
« Oui », ai-je dit, « je sais ce que ça veut dire. »
« Je pense que tu me dois des excuses. »
Je lui ai lancé un regard. Il avait du mal à contenir un sourire
sadique. Une partie
de moi voulait ramper. Elle voulait mendier son pardon et me couvrir de
honte. J’ai
rejeté cette partie et décidé que je préfèrerais me faire virer que de
présenter des
excuses.
« Les gouvernements sont institués par les hommes, tirent leurs justes
pouvoirs
du consentement de ceux qu’ils gouvernent, et lorsque toute forme de
gouvernement
devient hostile à ces buts, c’est le droit du peuple de le modifier ou
de l’abolir,
et d’instituer un nouveau gouvernement, en basant ses fondations sur ces
principes,
et en organisant ses pouvoirs de telle façon qu’ils concourent à sa
sécurité et à
son bonheur.»
Je m’en souvenais mot pour mot. Il a secoué la tête.
« Savoir les choses par coeur n’est pas la même chose que les
comprendre, fiston. »
Il s’est penché sur son ordinateur et a cliqué quelques fois. Son
imprimante a
bourdonné. Il m’a donné une feuille de papier à entête toute chaude qui
m’annonçait
une suspension de deux semaines.
« Je vais la transmettre à tes parents par e-mail tout de suite. Si tu
es toujours
sur le domaine de l’école dans trente minutes, je te fais arrêter pour
violation de
propriété privée. »
Je l’ai regardé.
« Tu n’as pas intérêt à me déclarer la guerre dans ma propre école »,
a-t-il dit.
« Tu ne peux pas gagner cette guerre. Va-t-en! »
Je suis parti.